Le spectacle DEBOULONNEN avec l'Atelier Ganmèl, c'était du lourd, du très très lourd !

Dans l’après-midi du dimanche 13 avril 2025, il pleuvait à Cap-Haïtien, à Caracol, à Trou-du-nord et dans les environs. Mais il n’y n’avait pas vraiment grand monde qui s’en souciait !  Pas les fanatiques de l’Atelier Ganmèl en tout cas... Parce que malgré la pluie, malgré les flaques d’eau, malgré les habits mouillés …, Lekòl S&H au village Ekam de Caracol avait quand même été bien remplie par une foule pleine d’énergie et de curiosité, qui était venue assister au spectacle DEBOULONNEN ; un événement organisé en partie pour célébrer les douze années d’existence de l’Atelier Ganmèl. 

Crédit Photo: Lénéus Photography

Comédiens, metteurs en scène, accessoiristes et les membres de l’atelier en général avaient sorti leur grand jeu, pour présenter au public un tout nouveau spectacle, tout frais, tout beau, tout percutant…

Dès qu’ils sont rentrés dans la salle, les spectateurs avaient les yeux qui s’écarquillaient. La scène était comparable à un véritable musée ! Il y avait des livres partout, bien entreposés comme dans une bibliothèque standard ; des portraits de grands noms d’Haïti, certains morts, d’autres encore vivants, mais tous importants et surtout ils avaient tous un sens pour le message que le spectacle avait à faire passer. 

Dès que les lumières se sont éteintes, tout le monde s’était tu. Il y avait une énergie dans l’air, de la passion, un contact mutuel entre les vedettes du jour et leurs fans… Comme si nous savions tous que nous allions assister à quelque chose de spécial et de grandiose. 

Crédit Photo: Lénéus Photography

Et soudain… le show avait commencé. 

Première scène : « Des personnages qui discutent et qui s’embrouillent un peu. Certains parlent d’avant, disant que tout était mieux. D’autres, eux, en ont marre de tout ce qu’il y a maintenant, veulent tout casser, tout changer… ». Cette première tranche, un parallèle assez sombre sur Haïti d’avant et Haïti d’aujourd’hui, avait tout ce qu’il fallait à chaque spectateur pour comprendre où les talentueux comédiens de l’Atelier Ganmèl allaient emmener le public...

Ensuite les scènes se sont enchaînées, l’une après l’autre, de plus en plus fortes, de plus en plus profondes. Nous spectateurs avions vite compris que c’était un miroir que l’atelier posait devant nous, pour voir notre histoire et notre pays, notre Haïti, avec ses joies, ses peines, ses problèmes, ses rêves, sa situation d’insécurité actuelle qui bat tous les malheureux records, etc.

Mais tout ça, il fallait s’y attendre. Car « DEBOULONNEN » veut dire littéralement enlever les boulons, démonter les choses. Mécaniquement parlant, quand il y a même un seul boulon qui n’est pas à sa place dans un système, tout s’effondre. Et c’est exactement ce que la pièce préparée par l’Atelier Ganmèl faisait… Une idée qui a émergé au mois de février dernier, qui a pris forme en atelier d’écriture avec l’équipe et présentée ce soir-là par une troupe d’environ vingt-six comédiens jouant sur la scène.

Le spectacle a démonté les discours tout faits, les illusions, les mensonges... Il a parlé des sujets de notre quotidien en tant que Haïtien : la misère, l’injustice, la violence, la déception, mais aussi l’espoir, le courage, la mémoire. Parlant en créole et en français, en chantant, en dansant, en mimant, en criant, et parfois même en restant silencieux, les comédiens ont tout déboulonné devant le public. Et tout ça, ça touchait, ça frappait, ça faisait réfléchir.

Il y avait de la danse, de la musique, une chorale, le symbole de « la croix déguisée avec LES MAUX » que porte Haïti … Un mélange de rara, de chants traditionnels, et autres sons… « Le mal du pays », « Nan malè n ye », « Chante », « Istwa dwòl », « Se pa sa w te di m » et « Beni yo », des morceaux qui ont tous participé à la magnifique beauté du spectacle. Ils tombaient tous à point pour bien s’accorder à une ou plusieurs scènes. Les acteurs dansaient comme s’ils avaient le feu aux pieds, comme s’ils voulaient réveiller tout le monde... 

Crédit Photo: Lénéus Photography

Les décors étaient beaux pendant toute la durée du spectacle. La scène physique pas trop chargée, mais pleine de détails, pleine d’indices pour aider les spectateurs à se situer... 

Et en effet si la première scène avait presque tout dit, les autres scènes, elles, voulaient tout dire et tout montrer… Un ouvrier qui perd son travail, une fille qui doit quitter Port-au-Prince à cause de la violence, un papa ou une maman qui veut un avenir meilleur pour ses enfants. Les « madan sara », les paysans, les professeurs, les artistes, les familles qui essaient de tenir bon… Les parents qui se sacrifient pour envoyer leurs enfants à l’école. Des mères qui, malgré la fatigue, font des miracles avec moins de cent gourdes en main. Les fêtes champêtres et traditions haïtiennes qu’on voit de moins en moins aujourd’hui. Les bandits qui chassent femmes enceintes, bébés, adultes, personnes en situation de handicap, sans foi ni loi. Des gens qui meurent tous les jours et qu’on oublie aussitôt. Des femmes à neuf mois de grossesse transportées comme de la marchandise dans des brouettes, des milliers de citoyens qui ont fui leurs maisons et qui vivent plus mal que des animaux dans des abris forcés. Des parents et enfants qui ont dû fuir leur domicile et qui ne sont jamais rentrés sans aucune nouvelle…

Les scènes ont raconté et dénoncé et une circulation complètement déjantée, où plus de vingt personnes essaient habituellement de grimper dans un véhicule prévu pour dix. Des villes sans lumière, des villes sales. Des zones entières abandonnées à elles-mêmes à cause de l’insécurité. Les manœuvres politiques politiciennes de nos dirigeants illégitimes, le feu président Jovenel Moïse et sa mort tragique. Certains compatriotes qui sont morts en mer et d’autres par exemple qui sont morts brulés en essayant de récupérer du carburant dans un camion. Les usines où les ouvriers travaillent dans des conditions inhumaines, les « Bwat Leta », les banques et autres institutions étatiques où la population se sent plus harcelée, manipulée, exploitée et humiliée qu’être servie. Les “raketè”, les escrocs officiels et officieux. En bref, une peinture grinçante de notre pays en déroute.

Mais DEBOULONNEN n’a pas seulement montré nos malheurs et verbalisé nos cris. Le spectacle a aussi honoré nos héros, salué notre patrimoine et célébré notre culture. La Citadelle Laferrière, Sans-souci, Bassin Zim, nos forts, le Palais aux 365 portes, les anciennes usines textiles de Phaéton et Dérac, les communes d’Haïti et leurs spécialités touristiques, culturelles, culinaires et agricoles…


Crédit Photo: Lénéus Photography

Et malgré tout ce que nous avons pu voir, ce que les scènes nous ont fait comprendre et les sujets sur lesquels elles nous ont alertés, nous sommes sortis du spectacle avec de la force. Parce que les comédiens nous ont montré également qu’il y a des gens qui se battent tous les jours pour survivre, pour rêver, pour aimer. Parce qu’il y avait de l’art dans ce qu’ils faisaient. Parce qu’il y avait leur jeu incroyable. Parce qu’il y avait le cœur. Et parce que c’était l’Atelier Ganmèl. Cette troupe qui nous a rappelé qu’on peut parler du pire avec talent, qu’on peut dénoncer avec beauté, qu’on peut aimer un pays même quand il nous brise. 

Enfin, en montrant que le théâtre peut encourager à changer les choses, faire réfléchir, faire rire, faire pleurer, faire réagir, l’Atelier Ganmèl nous a fait cadeau d’un moment de grâce dimanche dernier au soir. Un moment inoubliable où des jeunes haïtiens, avec talent, passion et conviction, nous ont montré que la culture, l’art, la parole libre, ont encore leur place. Que même sous la pluie, même dans le chaos, il y a des voix qui se lèvent, des histoires qui méritent d’être entendues, des rêves qui ne demandent qu’à prendre vie. Nous spectateurs avions vécu tout ce temps entre rires et larmes, dans un voyage entre hier et aujourd’hui, entre ce que nous étions avant, nous haïtiens, et ce que nous sommes devenus.

DEBOULONNEN, à nos yeux, ce n’était pas seulement un tout nouveau spectacle. C’était un cri d’urgence. C’était un appel. Nos souvenirs et nos rêves en miettes, et une promesse encore debout. Une flamme encore allumée, un espoir pour un demain meilleur. C’était du lourd. Du très, très lourd.

Crédit Photo: Lénéus Photography

L’Atelier Ganmèl est une troupe de théâtre localisée au Campus Henry Christophe de l’Université d’État d’Haïti à Limonade. Elle réunit un groupe de jeunes qui, depuis douze ans, se rassemblent, écrivent, répètent, improvisent, et surtout, montent sur scène pour raconter ce qu’ils vivent, ce qu’ils voient, ce qu’ils ressentent. Leur théâtre est vivant, drôle, touchant, et vrai. UN JOYEUX ANNIVERSAIRE à toute l’équipe !


Rédaction

Berckson Johnsly JEAN-LOUIS 

Développeur Full Stack | Enseignant en Sciences Numériques et Technologie | Cinéphile et Amoureux des arts de la scène





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